On observe la diffusion progressive dans toutes les catégories socio-culturelles, d’âge et de sexe, de l’idée selon laquelle chercher à modifier son corps peut constituer un objectif légitime à atteindre pour permettre au sujet de s’accomplir. Certains individus considèrent ainsi le travail esthétique comme un rituel quotidien et parfois même comme un devoir continu qui devient également le centre d’intérêt et la motivation première qu’ils affichent auprès des autres pour exister socialement. En ce sens, l’engagement constant dans un parcours esthétique, quels que soient ses modalités concrètes et les modèles de référence, devient un élément fortement constitutif de l’identité sociale.
Que ce soit au travers des élections de Miss, des émissions de relooking, des centres de remise en forme, des revendications de beautés transgenre, on observe la performance de modèles singuliers de beauté suggérant des formes d’empowerment individuel ou collectif. Modifier son corps, l’embellir ou simplement chercher à effacer un stigmate et à entrer en conformité avec certaines conventions esthétiques peut en effet être synonyme pour les individus d’une plus grande participation sociale et inclusion dans la vie en société. En cela, mettre en œuvre des pratiques esthétiques peut se comprendre comme une forme d’investissement permettant à certains sujets d’accroître le pouvoir qu’ils ont sur leur existence et entraînant des bénéfices sociaux. Ces derniers, bien qu’ils demeurent pour partie difficilement quantifiables, peuvent être de plusieurs ordres : l’intégration à un groupe, la reconnaissance par les proches, l’accès à un statut socio-économique ou à une qualité de vie meilleure, la prise d’un pouvoir politique, le développement de la confiance en soi et d’une aisance accrue. Ces avantages sont d’autant plus remarquables que la beauté possède une haute valeur d’échange dans les sociétés contemporaines. La manière dont les individus sont socialement acceptés ou marginalisés sur la base de leur apparence doit cependant être interrogée au croisement d’autres catégories comme la classe, la “race”, l’âge, le sexe de même que la fabrication des modèles socialement produits sur lesquels s’appuient ces appréciations. On peut ainsi tenter de délinéer qui sont les sujets légitimes et autorisés à accroître leur pouvoir en utilisant le ressort de l’esthétique. Dans les sociétés contemporaines, la prise de pouvoir des sujets sur leur monde social – empowerment – est un processus qui semble accompagner certaines démarches esthétisantes.. Nous dédions l’espace de cette séance de séminaire pour considérer les divers enjeux liés à cette hypothèse sociologique, qui fait débat dans les études sur la beauté."
Nos invitées :
Kathy Davis est chargée de recherche au département de sociologie de l’université libre d’Amserdam (Vrije Universiteit Amsterdam) aux Pays-Bas. Ses recherches portent sur : la sociologie du corps, l’intersectionnalité, la “travelling therory” et les pratiques transnationales. Elle défend l’approche biographique comme une méthodologie et une stratégie critique et créative pour l’écriture académique. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages, notamment Reshaping the Female Body (Routledge, 1995), Dubious Equalities and Embodied Differences (Rowman & Littlefield, 2003), The Making of Our Bodies, Ourselves: How Feminism Travels Across Borders (Duke, 2007) et Dancing Tango: Passionate Encounters in a Globalizing World (NYUPress, 2015). Elle travaille actuellement un ouvrage portant sur la sociologie de la passion.
Thérèse Awada est chirurgien plasticien. Sa spécialité, la chirurgie plastique, comporte deux branches : l’esthétique et la reconstruction. Ces deux branches sont indissociables, et se nourrissent l’une l’autre. Lors de sa formation, elle a étudié la chirurgie générale avant de se spécialiser en chirurgie plastique (pour acquérir une technicité, un savoir spécifique en reconstruction et enfin une culture esthétique). Par la suite, Thérèse Awada a complété son parcours chirurgical avec un parcours de recherche en éthique biomédicale, au Centre Européen de Recherche en Éthique à Strasbourg. Cette formation universitaire permet une approche interdisciplinaire, où se croisent philosophie, sociologie, théologie, médecine et droit.
Organisatrices du séminaire : Marion Braizaz et Camille Couvry.