L’art numérique engage différentes contributions, scientifiques et artistiques, qui instaurent un morcellement de l’activité créatrice et des modes pluriels de désignation de ce qui pourra «faire oeuvre». Le suivi ethnographique de projets et de situations concrètes de coopérations entre chercheurs et artistes peut permettre de saisir, en actes, ces mutations du travail de création. Nous verrons notamment comment ces collaborations interdisciplinaires parviennent, ou ne parviennent pas, à placer « l’oeuvre d’art » au coeur d’une négociation entre des acteurs et des visées hétérogènes : - entre l’activité créatrice, polyphonique, qui désignera tour à tour le produit du travail comme une oeuvre d’art, une innovation logicielle ou un algorithme informatique ; vers l’épreuve de validation qui exigera néanmoins une stricte réattribution de ces fruits du travail collaboratif, à la fois concurrentiels et coordonnés, l’oeuvre, les programmes, interfaces et images innovantes dont les statuts et
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les carrières sociales sont redéfinis. Ma communication proposera d’interroger ces différents régimes d’appropriation des coproductions en art numérique, en soulignant les déplacements engendrés sur les traditionnelles notions d’oeuvre (d’art) et d’innovation (industrielle). Différentes études de cas tirées d’une thèse de sociologie et d’un post-doctorat au CNRS mettront en perspective l’invention de nouveaux régimes de «fragmentation des oeuvres» et de «distribution d’auteur », adaptés à la paternité collective d’un travail qui se traduit en de multiples externalités et qui peut donner lieu à des évaluations et valorisations hybrides. Selon quelles conditions la production peut-elle être modulable, façonnée différemment selon le marché (scientifique, artistique ou industriel) auquel elle est destinée? L’écologie de l’art numérique, qui met en avant tel ou tel aspect de la production, selon le contexte, repose en effet la question de l’oeuvre (scientifique et artistique) «comme un tout cohérent et inaltérable » ? En articulant ethnographie de la conception et analyse des mécanismes de circulation des oeuvres, il s’agira d’appréhender ces mutations du travail entre arts et sciences
L'Association française de sociologie (AFS) a tenu son IVème congrès du 5 au 8 juillet 2011, à Grenoble, sur le thème CREATION & INNOVATION. Son invité d'honneur était Pr Andrew Abbott de l'University of Chicago. Plus de 1200 sociologues étaient présents.
Ce site permet de visionner la plupart des sessions plénières et semi-plénières qui ont eu lieu pendant les matinées du congrès : la conférence inaugurale du mardi 5 juillet 2011 (avec Andrew Abbott), les Etats Généraux de la Sociologie du mercredi 6 juillet 2011, et six sessions semi-plénières consacrées au thème Création & Innovation (jeudi 7 et vendredi 8 juillet 2011).
Le programme détaillé des matinées est accessible <a href="http://www.afs-socio.fr/Congres2011/MatineesCongresAFS2011.pdf">ici</a> et le programme détaillé des 45 réseaux thématiques qui se sont déroulés les après-midis est accessible <a href="http://www.afs-socio.fr/formListeRT11.html">ici</a>
Le processus de « création », c’est-à-dire de production d’un « nouveau » en arts comme en sciences peut être décrit, à partir des déclarations des uns ou des autres, selon des modalités similaires. Quelque chose de l’ordre d’une intuition, d’une idée qui vient, Einfall, disait Sigmund Freud, puis sa mise à l’épreuve théorique et empirique, dans une expérimentation ou une réalisation, suivie d’une confrontation au public des pairs en sciences, des experts (galeristes, collectionneurs, critiques, etc.) en arts. La question qui sera abordée dans cette intervention portera sur les conditions d’émergence de cette « intuition », c’est-à-dire de ses rapports avec les acquis précédents, les expériences passées, la mémoire collective. De quoi procède-t-elle ? Et quelles sont les conditions d’émergence de cette « idée qui vient » ?
Jadis traité comme condition préalable à tout projet technique ou artistique le matériau est devenu depuis quelques décennies un objet de design. L’essor des matériaux composites depuis les années 1970-80 se traduit par le concept de matériau sur-mesure, création singulière, voire unique. Après un rapide historique de cette évolution, on présentera les nouveaux modes d’innovation en matériaux et le rapport à la matière qui s’esquisse et s’accentue dans les nanotechnologies
Peut-on arracher le discours sur l’art au domaine des humanités et traiter les objets esthétiques comme des choses ? Dans leur majorité, particulièrement en France, les sociologues de la culture ont cru bon de se mettre à distance du danger positiviste en réactivant la vieille posture du connaisseur. La sociologie des oeuvres est pour une bonne part la sociologie des oeuvres qu’on aime : l’une tripote honorablement le saxo-tenor, elle deviendra sociologue du jazz. L’autre a pris des cours de flamenco dans le cadre d’une salle municipale, il deviendra anthropologue du duende. Au cours du dernier quart de siècle, la sociologie des arts s’est culturalisée et dé-technicisée. Elle est devenue l’une des manifestations de l’impératif qui consiste à être soi-même, y compris dans ses objets de recherche. Dans le cadre d’un test aveugle, il serait quelquefois difficile de distinguer nos productions de celles de spécialistes de littérature ou d’études culturelles. Le rêve d’une science de l’art telle que Giovanni Morelli l’avait proposée en constituant des critères stabilisés d’identification formelle nous paraît appartenir au passé. En histoire de l’art au contraire, discipline tardivement professionnalisée et longtemps attachée au modèle culturel et social du connoisseurship, la maîtrise d’outils techniques et la perspective d’une neuroscience de l’art sont devenues incontournables. Le connaisseur est pris pour ce qu’il est : un amateur qui se trompe souvent, comme l’illustre Bernard Berenson, et il convient de
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l’équiper d’une technologie qui lui évite les déboires de l’attribution fautive. Science, technique, art : la neuro-art history propose une liaison inédite entre ces trois éléments que le sociologue ne doit pas ignorer, mais évaluer et affronter
L'objectif du projet TICTAC est d'analyser les éléments objectifs et subjectifs qui déterminent la dynamique du processus de création depuis sa naissance jusqu'à sa mise en public. Pour cela, nous avons étudié scientifiquement à la fois l'évolution des idées, des artefacts et la coopération des différents acteurs au cours de l'élaboration d'une création développée dans le contexte de l'initiative Garage. Cette dernière consiste à ouvrir dans le LITUS (Laboratoire Innovation Technologique centrée UtilisateurS) un espace de fabrication d'objets technologiques (installations, maquettes, démonstrateurs, prototypes...) ayant un caractère artistique, poussé par la seule créativité des ingénieurs qui travaillent dans le pôle MINATEC, qu'elle soit spontanée ou stimulée. C'est donc une histoire microscopique des idées tout au long d'un projet de création que nous sommes en train de faire, en considérant ces idées comme la médiation effective d'une interaction permanente entre les acteurs et les différentes formes matérielles de cette élaboration.
Dans cette communication, nous allons tout d'abord présenter le projet de recherche TICTAC. Il s'agira ensuite de montrer les dynamiques du processus de création, et ce à différentes échelles. À l'échelle du projet dans son ensemble, nous avons été sensibles à un ensemble de contextes qui traversent la dynamique de l'innovation, faisant apparaître des logiques organisationnelles et économiques qui accompagnent le processus de création (moyens matériels et humains pour le développement de la maquette, choix technologiques en amont...) et qui viennent parfois façonner directement la dynamique du projet. Toutefois, ces dynamiques sont rapidement discutées et les partenaires cheminent vers le déroulement d'une journée créativité susceptible de permettre la définition d'un nouvel objet.
Dans le cadre de la journée créativité qui a réuni tous les partenaires du projet pour la définition d'un nouvel objet, c'est une autre échelle de la dynamique du processus de création sur laquelle nous nous sommes penchés, dévoilant ainsi les lignes de force qui ont fait tendre le groupe du projet vers un objet précis. Il s'agit ici d'être dans une démarche microsociologique qui tente de démêler les raisons du choix d'une « balle qui fuit quand on l'approche » comme objet à réaliser dans le cadre de ce projet. Finalement, nous montrerons comment s'articulent ces échelles et comment les dynamiques des idées et celles des techniques s'entremêlent. Les idées proposées dans le cadre de ce projet témoignent d'une grande richesse et prennent progressivement (et difficilement) en compte la dynamique technique de la même manière que la dynamique technique prend progressivement en compte les idées comme solutions techniques. C'est-à-dire qu'au fur et à mesure des avancées techniques (et donc organisationnelles également, comme dit plus haut), le champ des possibles paraît se réduire alors même que la trajectoire technique paraît prendre en compte les idées formulées en amont. Le coeur de l'intervention consistera alors à expliciter cette réciprocité.
L’IRCAM, ou Institut de Recherche et Coordination Acoustique / Musique, est un lieu précieux pour qui cherche à comprendre les processus de production / création à l’articulation entre art, technique et science, cette articulation y valant programme depuis la fondation de l’Institut par Pierre Boulez, dans les années 1970. Elle se trouve effective dans chacune des nouvelles productions programmées, qui supposent le travail conjoint, souvent renouvelé dans le temps, de compositeurs, de chercheurs, d’ingénieurs en informatique musicale et d’interprètes.
Si les enjeux, les outils, les « épreuves », les modes d’évaluation et de résolution diffèrent a priori pour chacun de ces acteurs, ils s’ajustent de facto dans le cours d’une production, au moins partiellement et provisoirement, suffisamment cependant pour assurer avec félicité ce qu’il est convenu d’appeler la « création ».
L’intervenante prendra appui sur le matériau vidéo et les nombreuses traces rassemblées au fil d’une enquête de deux ans au coeur de l’Institut pour interroger ces moments de transition – transaction dans le cours de l’action. Elle prêtera une attention particulière à deux figures elles-mêmes « hybrides » : celle du réalisateur en informatique musicale, à l’interface entre recherche et création ; et celle de l’interprète, à l’interface entre technique et création (dans de telles productions).
L’art numérique engage différentes contributions, scientifiques et artistiques, qui instaurent un morcellement de l’activité créatrice et des modes pluriels de désignation de ce qui pourra «faire oeuvre». Le suivi ethnographique de projets et de situations concrètes de coopérations entre chercheurs et artistes peut permettre de saisir, en actes, ces mutations du travail de création. Nous verrons notamment comment ces collaborations interdisciplinaires parviennent, ou ne parviennent pas, à placer « l’oeuvre d’art » au coeur d’une négociation entre des acteurs et des visées hétérogènes : - entre l’activité créatrice, polyphonique, qui désignera tour à tour le produit du travail comme une oeuvre d’art, une innovation logicielle ou un algorithme informatique ; vers l’épreuve de validation qui exigera néanmoins une stricte réattribution de ces fruits du travail collaboratif, à la fois concurrentiels et coordonnés, l’oeuvre, les programmes, interfaces et images innovantes dont les statuts et
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les carrières sociales sont redéfinis. Ma communication proposera d’interroger ces différents régimes d’appropriation des coproductions en art numérique, en soulignant les déplacements engendrés sur les traditionnelles notions d’oeuvre (d’art) et d’innovation (industrielle). Différentes études de cas tirées d’une thèse de sociologie et d’un post-doctorat au CNRS mettront en perspective l’invention de nouveaux régimes de «fragmentation des oeuvres» et de «distribution d’auteur », adaptés à la paternité collective d’un travail qui se traduit en de multiples externalités et qui peut donner lieu à des évaluations et valorisations hybrides. Selon quelles conditions la production peut-elle être modulable, façonnée différemment selon le marché (scientifique, artistique ou industriel) auquel elle est destinée? L’écologie de l’art numérique, qui met en avant tel ou tel aspect de la production, selon le contexte, repose en effet la question de l’oeuvre (scientifique et artistique) «comme un tout cohérent et inaltérable » ? En articulant ethnographie de la conception et analyse des mécanismes de circulation des oeuvres, il s’agira d’appréhender ces mutations du travail entre arts et sciences
A priori, les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent des fonctionnalités intéressantes pour améliorer les pratiques cliniques dans le champ sanitaire. Toutefois, les expériences terrain montrent, de façon répétée, la difficile pénétration de ces technologies dans l’univers clinique. Comment peut-on expliquer la diffusion ralentie de ces technologies au sein de nos systèmes de santé ? Cette présentation propose de mobiliser un matériel empirique riche et diversifié couvrant plusieurs applications de ces technologies qui visent à favoriser une pratique clinique à distance dans le domaine de la télémédecine et de la télésanté. Ces expérimentations se sont déroulées au Québec lors de ces dix dernières années. Les technologies analysées couvrent la téléconsultation, les télésoins, la télésurveillance à domicile, l’informatique mobile ainsi que la mise en place de réseaux d’échange de données cliniques visant à assurer une meilleure continuité des soins à chaque patient. Certaines expérimentations visaient aussi à favoriser l’implication personnelle des patients. L’analyse croisée de ces expériences permet de mieux comprendre les nombreux défis que rencontre la diffusion de ces technologies en mettant en évidence une série d’enjeux constants qui viennent d’un projet à l’autre limiter l’adoption de ces technologies et freiner l’atteinte de bénéfices qui sont souvent promis trop allègrement.
Une complexité sociale grandissante entoure la transition de la « médecine de chevet » à l’e-santé. Nous ne sommes pas en train d’observer un processus linéaire, mais un concert de voix discordantes, un champ de tensions. L’application des technologies communicantes et des dispositifs mobiles au domaine de la biomédecine sous-entend un ensemble de revendications d’autonomie de la part des sujets impliqués dans les échanges informatisés orientés santé. Surtout, les communautés de patients du Web restituent de façon originale un ensemble de conflictualités entre institutions médicales et savoirs profanes du corps. Issues des contestations de la médecine institutionnelle des années 1980 et des collectifs de « résistance civile électronique » où les premiers hackers mettaient leurs compétences informatiques au service des malades exclus des soins par des systèmes de sécurité sociale de plus en plus dysfonctionnels, les forums de discussion santé ou les applications participatives de la « medecine 2.0 » actuelle sont encore animés par un refus très marqué de la médiation médicale. Dans le contexte qui se dessine, les médecins ne seraient plus qu’une ressource parmi d’autres, concurrencés par les communautés épistémiques à la Wikipédia, les groupes d’entraide en ligne et les bases de données « open ». Mais, de manière paradoxale, la démocratisation croissante des usages numériques ne va pas sans soulever plusieurs interrogations quant aux biais qu’elle peut introduire dans l’accès aux soins. La question des inégalités en matière de santé reste plus que jamais ouverte. Un déplacement progressif des scènes de l’exclusion et de l’isolement social pourrait s’opérer si la « fracture numérique » finissait par recouper une « fracture sanitaire » entre usagers ayant accès à de l’aide en ligne et à de l’information de qualité et des couches de population progressivement évincées de cette démarche d’ « empowerment » des malades. Le risque est que les usages numériques contribuent à exacerber ces inégalités.
L’avènement de la recherche à l’échelle nanométrique s’ancre dans une nouvelle épistémologie et s’est accompagnée de nouveaux liens au sein des communautés scientifiques et avec la culture au sens plus large. Cette épistémologie et ces nouveaux liens culturels et sociaux s’appuient largement sur la production des images au sein des domaines scientifiques concernés. Cette production d’images s’est massivement développée grâce à deux formes de technologies nouvelles, d’une part la microscopie à champ proche, comme le Scanning Tunnelling Microscope (STM) et d’autre part, la diffusion très large de l’informatique, ces deux technologies donnant accès de façon massive et routinière à des représentations visuelles de molécules et même d’atomes par exemple. Cette épistémologie fondée à la fois sur les images et l’argumentation scientifique ouvre sur des formes de validation inédites. Ces images engagent de plus des pratiques et des stratégies de communication au sein de la science et vers le public.