À la suite de la Déclaration du millénaire de l’ONU, qui établissait un programme pour lutter contre les maux du XXe siècle, le Secrétaire général Kofi Annan vit en la question de la gouvernance le motif clef de tout développement à venir pour le XXIe siècle : « La bonne gouvernance est le chemin le plus sûr pour en finir avec la pauvreté et soutenir le développement » (Good governance is the single most important way to end poverty and support development). Par gouvernance, il entendait un processus décisionnel intégrant décideurs et administrés au niveau local, national et international, cherchant à véhiculer les valeurs suivantes : la liberté, le respect du droit, la solidarité, la tolérance, le respect de la nature et le partage des responsabilités ; autant de valeurs que l’on peut réduire à quatre item : responsabilité, transparence, Etat de droit et participation ou subsidiarité.
Les différentes crises politiques, sociales, sanitaires –pandémiques– environnementales et ecclésiales d'aujourd'hui transforment profondément la perception que nous avons de la société et des individus qui la composent. Elles interrogent le mode de cohésion sociale et particulièrement la consistance et le rôle de tout corps administratif, judiciaire, parlementaire, associatif et religieux, c’est-à-dire de tout corps intermédiaire nécessaire à une gouvernance, que celle-ci soit bonne ou inique, centralisée ou décentralisée, démocratique ou totalitaire. C’est bien souvent, en effet, l’analyse de l’évolution de ces corps, de leur place, de leur fonctionnement et de leurs interactions qui permet de dessiner les contours d’une crise de la gouvernance, voire de constater la redéfinition en cours de la notion de gouvernance.
Comment donc fonder une gouvernance, sur la base d’une pluralité de corps (étatiques, ecclésiaux, intermédiaires, associatifs...) en leurs fonctionnements respectifs, qui puisse tout à la fois intégrer les contestations au sein d’une délibération et fédérer des sensibilités historiques et culturelles diverses, voire contradictoires, pour une construction commune ? Quelles conditions de possibilité d’une gouvernance fédératrice dans une société éclatée et multipolaire est-il possible d’envisager sans que cette gouvernance fédératrice ne se limite à gérer la juxtaposition des singularités ou à les éliminer ? Comment penser l’efficience d’une telle gouvernance en tant qu’articulation d’une administration centrale avec une administration subsidiaire et ultimement avec l’ensemble des citoyens ? Telles sont les questions de fond que nous nous poserons au cours de ces deux journées d’études interdisciplinaires organisées par la Faculté de théologie catholique (Université de Strasbourg) en partenariat avec l’UR 3400, l’UR 4377, le GDR Connaissance de l’Europe médiane, DECERE, CEAS et Caritas Alsace.
La méthodologie employée sera interdisciplinaire. En effet, les réalités de la gouvernance sont diverses et nécessitent des approches croisées.
Lesscienceshistoriquesrecourentactuellementàceconceptpourétudier lesgrandsensemblesgéopolitiques,dusaint Empire romain de nation germanique à l’Union européenne en passant par l’Autriche-Hongrie. Le colloque s'intéressera à la Streitkultur développée en Allemagne, aux tentatives de fédéraliser la monarchie des Habsbourg, aux solutions de gouvernance apportées à l’hétérogénéité de l’Union européenne.
Formellement, tout ceci exige une approche de nature juridique et administrative qui s’attache à une évaluation de la gouvernance comme concept opératoire.
Au sein de l’Eglise catholique, la gouvernance est un moyen de penser les conditions de possibilité d’une réforme (rénovation ? restauration ? développement ? synodalité ? décentralisation ? déconcentration ?) de l’Église catholique en ses structures de gouvernance, non seulement pour répondre à la crise institutionnelle qu’elle traverse, mais aussi pour garder le souci permanent d’écouter ce qui vient des marges de l’Église. De plus, privilégier la gouvernance sous le mode du multilatéralisme pousse l’Église à se laisser enseigner par des instances administratives extérieures – des corps intermédiaires – qui ne lui appartiennent pas (cf. l’encyclique Fratelli tutti), ce qu’elle a assurément accompli en faisant appel à la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE). C’est là un paradigme nouveau concernant la gouvernance de l’Église et de sa théologie du politique : non seulement l’Église apporte quelque chose au monde, mais elle reçoit également de lui (cf. Gaudium et spes, n°42-n°44). C’est là le marqueur décisif d’une théologie de la culture, de la rencontre, du dialogue, de l’altérité qui, bien loin de menacer une identité la révèle : comment le concept de gouvernance s’enrichit-il d’une telle évolution?