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Humanimalisme et lexicologie : les mots de la souffrance animale

Mme Astrid Guillaume

sémioticienne, maître de conférences à l'Université Paris Sorbonne, membre du conseil scientifique de la LFDA,

L'humanimalisme, humanisme respectueux de l’animal, s'inscrit aussi et d’abord dans une terminologie précise qui permet de dépasser les schémas de pensée et les mots employés depuis des siècles. La protection des animaux passe par de gros progrès scientifiques établis depuis 50 ans à mieux faire connaître au plus grand nombre et par des lois à faire respecter au sein d'une société en pleine mutation, mais elle passe également et avant tout par les langues et les mots qu'utilisent les scientifiques, les juristes et la société civile dans son ensemble. Ces langues et ces mots, profondément culturels, s’inscrivent dans des us et coutumes, ancrées dans nos réflexes langagiers et habitudes. Au regard des progrès scientifiques, ces mots sont employés à juste titre ou non, ces pratiques encore justifiées ou non. Dans tous les domaines professionnels, il y a des langues de spécialité avec un lexique défini à maîtriser. Les sphères où les animaux évoluent ne font pas exception à la règle. Dans ces contextes, l'utilisation des mots révèle des implicites et des non-dits sur ce qui est montré ou au contraire caché au public. Mal employés, détournés de leur sens premier, contournés, surexploités, sursémantisés ou soussémantisés, les mots employés contribuent à générer des souffrances à l'animal. De même, les proverbes et expressions qui datent d’un autre temps peuvent influer sur l’imaginaire des citoyens. Cette intervention donnera un petit aperçu de plusieurs univers où l'animal est présent (cirques, centres équestres, abattoirs, etc) et où l'utilisation de certains mots vise à masquer ou à amoindrir des situations de souffrance.

modération : Cédric Sueur

Durée :

Les Études Animales Sont-Elles Bonnes A Penser ? (RE)INVENTER LES SCIENCES, (RE)PENSER LA RELATION HOMME/ANIMAL

Du au

MISHA, Strasbourg

MISHA

Ce colloque est organisé dans le cadre du programme de la Maison interuniversitaire des Sciences de l’Homme-Alsace (MISHA, Université de Strasbourg) 2017-2018 « La rencontre homme-animal au croisement de la religion, de la culture et de la science. Généalogie et perspectives » porté par Aurélie Choné et Catherine Repussard. Ce colloque se fait aussi, comme depuis deux ans, dans le cadre du master Ethique à spécialisation « Ethique et Droit de l’animal » du Centre Européen D’Enseignement et de Recherche en Ethique (CEERE, Université de Strasbourg). La dernière journée a lieu également dans le cadre du programme de formation recherche du Centre interdisciplinaire d'étude et de recherche sur l'Allemagne (CIERA) 2017-2019 "Circulations et renouvellement des savoirs sur la nature et l’environnement en France et en Allemagne : vers des Humanités environnementales.

Nous partons du constat qu’il existe un « tournant animal(iste) » dans l’histoire des sciences et des savoirs. Depuis déjà quelques décennies, la « question animale » est tellement structurante qu’elle reconfigure les disciplines elles-mêmes : de la philosophie émerge la philosophie animale, de l’histoire l’« histoire animale », de la sociologie la « sociologie avec ou pour les animaux », des études littéraires les études animales littéraires, de l’éthique l’« éthique animale », du droit le « droit animal » ; les études postcoloniales et les études visuelles s’intéressent de plus en plus à l’animal ; la théologie s’ouvre à l’écothéologie et à une théologie de la création qui se penche plus volontiers sur la place de l’animal, etc. Ce colloque se propose d’étudier les décentrements épistémologiques parfois rendus nécessaires par ces nouvelles postures faisant une place aux animaux, ainsi que l’ouverture inter- et transdisciplinaire qu’elles présupposent (vers l’éthologie, la zoologie, la primatologie, la morale, la politique par exemple) et les hybridations disciplinaires auxquelles elles donnent lieu (ethnozoologie, zoosémiotique, zoopoétique, anthropozoologie, éthologie philosophique…). Notre questionnement portera également sur les résistances au sein de certaines disciplines et sur les raisons de ces résistances. Celles-ci révèlent d’autres enjeux, autant religieux et idéologiques que politiques et économiques, notamment liés à l’industrie (pharmaceutique, alimentaire, du luxe…). Dans la recherche fondamentale, évoquons notamment les réticences de certaines disciplines (chimie, biologie et médecine, notamment médecine vétérinaire…) à abandonner l’expérimentation sur l’animal, ou bien, pour ce qui est de la théologie et des sciences religieuses, le poids de certains impératifs doctrinaux issus des textes fondamentaux, des traditions ou des cultures religieuses. Une attention particulière sera accordée aux réflexions menées en France et en Allemagne. On s’attachera à interroger l’émergence des reconfigurations disciplinaires et la dynamique de recherche sur ces questions dans les deux pays afin de dégager leurs différences ou similarités.

https://sites.google.com/site/droitetethiquedelanimal/ue-debats-ethique-animale/colloque-interdisciplinaire-et-international-les-etudes-animales-sont-elles-bonnes-a-penser

Thème(s) : Sciences

Lettres, Arts, Langues et Civilisations, Sciences humaines, sociales, de l’éducation et de l’information, Sciences juridiques et politiques, Sciences fondamentales

Producteur : Université de Strasbourg

Réalisateur : Université de Strasbourg

Session 2 : Droit, éthique, politique

La Recherche animale : de l’animal-objet à l’animal sensible

M. Georges Chapouthier

directeur de recherche émérite au CNRS, membre du conseil d'administration de la LFDA

Dans beaucoup de civilisations, l’animal a été humanisé, voire divinisé. A la suite de Descartes et son élève Malebranche, la pensée occidentale a préféré opter pour le modèle de l’animal-objet, qui a guidé toutes les recherches en biologie animale bernardienne. Par un original retour des choses, les résultats mêmes de la recherche animale ont montré de nombreuses ressemblances entre l’homme et les animaux, aussi bien dans les domaines « naturels » (génétique, anatomie, physiologie, pathologie…) que dans les domaines culturels, où l’éthologie moderne a souligné la proximité de l’être humain et de certains animaux. La théorie de l’évolution a fait de l’espèce humaine une espèce animale parmi d’autres. La plupart des animaux sont des êtres dotés, comme l’homme, d’une sensibilité nerveuse et sont proches de l’être humain sans lui être exactement identique. Certains animaux « céphalisés » possèdent, comme l’être humain, des aptitudes à la douleur et à la souffrance consciente. Cette conception moderne de l’animal sensible amène à envisager la recherche animale sous un tout autre angle que la conception traditionnelle occidentale de l’animal–objet et à faire davantage de place à la réflexion morale. La notion de « droits de l’animal », telle qu’elle est comprise par la Déclaration Universelle des Droits de l’Animal, pourrait être une bonne manière d’aborder cette question dans les états de droit.

Référence : G. Chapouthier, Kant et le chimpanzé, Belin, Paris, 2009

L’anthropomorphisme, entre le bien fondé et la dérive risquée

M. Cédric Sueur

maître de conférences à l'Université de Strasbourg, membre du conseil scientifique de la LFDA, membre de la commission nationale à l'expérimentation animale

L’anthropomorphisme est l’attribution des caractéristiques humaines à d’autres entités telles que des dieux, des animaux, des objets et des phénomènes. Dans le cadre de notre relation avec l’animal, ceci correspond à attribuer aux animaux de différentes espèces des intentions, des sentiments et des émotions derrière les comportements que ces derniers vont présenter quelles que soient nos connaissances de l’éthologie de l’espèce. Ce même phénomène d’attribution se produit aujourd’hui avec l’émergence de la robotique, et particulièrement si les robots ont une apparence humaine ou animale. Cette capacité cognitive de projection aurait évolué chez l’Homme afin qu’il puisse mieux comprendre le monde qu’il l’entoure et qu’il puisse mieux interagir avec lui. Cependant, nous voyons aujourd’hui que cet anthropomorphisme, qui devrait plus être utilisé comme un principe de précaution, devient systématique dans notre relation à l’animal. Doit-on attribuer les mêmes capacités cognitives à une fourmi qui présente un comportement d’altruisme similaire à celui d’un éléphant ? En science, à l’inverse, le principe de parcimonie ou le simplisme est le mot d’ordre dans la compréhension du monde biotique et abiotique. La question est de savoir si la sur-utilisation non fondée d’un de ces concepts nous permet de mieux gérer le bien-être des espèces animales et de leurs représentants ou au contraire met un frein à notre relation avec ces derniers.

Session 3 : Ethologie, zoosémiotique

Humanimalisme et lexicologie : les mots de la souffrance animale

Mme Astrid Guillaume

sémioticienne, maître de conférences à l'Université Paris Sorbonne, membre du conseil scientifique de la LFDA,

L'humanimalisme, humanisme respectueux de l’animal, s'inscrit aussi et d’abord dans une terminologie précise qui permet de dépasser les schémas de pensée et les mots employés depuis des siècles. La protection des animaux passe par de gros progrès scientifiques établis depuis 50 ans à mieux faire connaître au plus grand nombre et par des lois à faire respecter au sein d'une société en pleine mutation, mais elle passe également et avant tout par les langues et les mots qu'utilisent les scientifiques, les juristes et la société civile dans son ensemble. Ces langues et ces mots, profondément culturels, s’inscrivent dans des us et coutumes, ancrées dans nos réflexes langagiers et habitudes. Au regard des progrès scientifiques, ces mots sont employés à juste titre ou non, ces pratiques encore justifiées ou non. Dans tous les domaines professionnels, il y a des langues de spécialité avec un lexique défini à maîtriser. Les sphères où les animaux évoluent ne font pas exception à la règle. Dans ces contextes, l'utilisation des mots révèle des implicites et des non-dits sur ce qui est montré ou au contraire caché au public. Mal employés, détournés de leur sens premier, contournés, surexploités, sursémantisés ou soussémantisés, les mots employés contribuent à générer des souffrances à l'animal. De même, les proverbes et expressions qui datent d’un autre temps peuvent influer sur l’imaginaire des citoyens. Cette intervention donnera un petit aperçu de plusieurs univers où l'animal est présent (cirques, centres équestres, abattoirs, etc) et où l'utilisation de certains mots vise à masquer ou à amoindrir des situations de souffrance.

Les structures élémentaires de la communication interspécifique Humains/Non-Humains : Le cas particulier d’une interaction homme/cheval – le travail en « liberté » circassien"

M. Carlos Pereira

maître de conférences à Paris III Sorbonne Nouvelle,

Notre méthodologie s’appuie sur les outils de la linguistique et plus généralement de la sémiotique. Le dispositif consiste à faire évoluer un cheval en liberté, autrement dit sans longe ni harnais, autour d’un « écuyer-dresseur ». Cette pratique équestre est issue de la tradition circassienne du XVIIIème siècle fondée par l’écuyer Philip Ashley. Le « travail en liberté » implique un répertoire de mouvements tels que les déplacements aux trois allures à main droite et à main gauche, les « valses », les « cabrés », les « pirouettes »…Cette expérience permet d’appréhender 5 systèmes de communication : communication proxémique ou posturale, communication, gestuelle, haptique, vocale et faciale. Le couple Homme-cheval semble entrer ainsi dans un dialogue explorant une « polyphonie » combinant des signes et des codes variés. Le cheval semble apprendre la musicalité harmonique de cette chorégraphie à partir de structures « sémiotiques » élémentaires pouvant être représentées dans un espace circulaire orienté Nord/Sud et Est/Ouest avec un point central. La cognition humaine et animale semble réceptive à ces structure pour développer des modes de communication interspécifique complexes. Les différentes expériences montrent l’existence de structures « modiques, dyadiques, triadiques et tétraédriques ». Ces unités « sémiotiques » seraient-elles les socles des « cultures » humaines et animales ? Expliqueraient-elles les origines du langage humain en particulier, des communications animales de manière générale ?

La primatologie : un tremplin formidable pour les études animales"

Mme Marie Pelé

chercheuse en éthologie et primatologie, fondatrice et directrice d'Ethobiosciences, co-responsable de l'enseignement en Ethique animale de l'Université de Strasbourg,

Pendant plusieurs siècles, l’être humain sembla se détacher des autres espèces animales par ses capacités à coopérer, à fabriquer des outils, à transmettre ses connaissances, à faire preuve d’empathie ou d’égoïsme, à mener des guerres et ou encore faire de la politique. Depuis 70 ans, ces barrières tombent peu à peu grâce aux travaux d’hommes et de femmes pionniers dans leur discipline : la primatologie. Je me propose ici de tirer quelques-uns de leurs portraits, de Kinji Imanishi à Frans de Waal sans oublier Jane Goodall. Leurs méthodes de travail ont révolutionné l’éthologie. Par exemple, en considérant chaque individu comme un animal à part entière et en leur attribuant des noms. Imo, jeune femelle macaque japonais qui se mit à laver ses patates douces avant de les manger est ainsi devenue une véritable sommité de la culture animale. La primatologie a également élargi le champ d’action de nombreuses autres disciplines comme la psychologie comparée ou l’anthropologie, mais a aussi permis aux éthologues de se tourner vers d’autres espèces. Il n’est ainsi plus choquant de parler d’intelligence animale, de justice animale ou bien encore de personnalité animale grâce aux études d’abord réalisées chez les primates, propulsant l’humain dans le monde animal mais aussi les animaux dans le monde humain.