On a été frappé depuis longtemps par le fait que deux auteurs contemporains qui ne se connaissent nullement, René Descartes et Giulio Caccini, ont eu en commun une définition de la fin de la musique, celle de représenter, voire de provoquer des passions. Le fait que cette expression des passions, qui paraît culminer au XVIIe siècle italien dans les madrigaux de Monteverdi, et plus généralement dans le style représentatif à la naissance de l’opéra, figurant la colère, le désespoir, l’amour, la haine, le désir etc., soit aisément identifiable par l’auditeur ne dispense pas d’une réflexion plus théorique sur le moyens mis en œuvre dans cette expression et cette identification : comment savons nous qu’une musique est triste ou gaie ? D’où vient ce qu’un poète et théoricien appelait sa « secrète énergie » ? Il s’agit d’une question classique, nullement limitée à la période baroque, qui est encore aujourd’hui discutée par de nombreux musicologues contemporains dans les domaines musicaux les plus divers.
Le propos de cette intervention est d’examiner brièvement la situation du problème au début du XVIIe siècle, à partir de l’évocation de questions théoriques tels qu’elles se posent au moment d’un renouveau sans précédent des modes de rationalité philosophique et des moyens d’expression artistique. Il sera organisé à partir de la recherche des éléments musicaux auxquels est attribuée une fonction affective dans son rapport avec un texte: rythme et mesure, hauteur, modes, accents, timbre, à travers l’évocation de quelques moments de théorie ou de critique, par exemple de Pontus de Tyard, de Mersenne, ou de Descartes. On terminera sur un problème paradoxal avec lequel Descartes s’explique au tout début et à la toute fin de sa carrière philosophique, à savoir que l’on peut reconnaître une pièce de musique comme triste et néanmoins éprouver de la joie à l’entendre : preuve que ce n’est pas exactement la même chose que de représenter et de provoquer des passions.