« La musique dans les autres arts : poïétique, fonction, signification »
Au tournant du XXIe siècle, la musique enregistrée, en grande partie déjà convertie dans les formats numériques, commençait à migrer – comme toutes les entités du monde social – dans le Web. Ce qui avait l’air de se présenter comme un simple changement dans le système de diffusion d’un produit artistique était appelé à profondément bouleverser l’apparat de l’industrie musicale — apparat qui avait depuis longtemps fait du disque son pivot central. Nous sommes confrontés à une véritable révolution, dont les effets se font sentir sur un vaste terrain où se croisent des questions anthropologiques, économiques, légales, éthiques, sociales et tant d’autres, dans une réorganisation presque complète du monde musical global.
Ce colloque entend étudier ces transformations en trois volets ou à partir de trois points de vue qui, pour autant qu’ils puissent se trouver souvent entremêlés dans la réalité, nous nous proposons de considérer comme distincts : celui de la production (comment le numérique et le web ont transformé la production des œuvres et des performances), celui de la réception (comment ils ont transformé notre manière d’en faire expérience ou plus précisément : de les percevoir, de les apprécier et de les juger) et celui de l’ontologie (comment ils ont transformé la manière d’être des entités musicales).
Apports multidisciplinaires en musicologie : enjeux, interrogations et défis
La pensée d’Abraham Moles - Interdisciplinarité et interstices de la connaissance
Penseur transdisciplinaire du XXe siècle, ingénieur, philosophe, théoricien de la science et de l’art, Abraham Moles a peu à peu tourné son attention vers les phénomènes de la vie sociale.
Auteur d’une trentaine de livres traduits en de nombreuses langues et de plus de huit cents articles, il a attiré à son Institut au sein de l’Université de Strasbourg (Institut de psychologie sociale des communications) de nombreux chercheurs étrangers. Beaucoup ont par la suite contribué à diffuser son œuvre dans leurs pays
La multiplicité des champs couverts, des théories proposées, fait de son œuvre une référence incontournable pour tous ceux qui cherchent à dépasser l’émiettement des connaissances et à entreprendre une réflexion rigoureuse et fondamentale adaptant leurs connaissances scientifiques au monde de la psychologie et de l’art.
Le IXe congrès européen d’Analyse musicale (IXe CEAM - Euromac 9) se tiendra à Strasbourg du 28 juin au 1er juillet 2017.
Il est organisé par le laboratoire d’excellence GREAM (Groupe de recherches expérimentales sur l'acte musical) de l’université de Strasbourg, la SFAM (Société française d’analyse musicale) et le laboratoire IReMus (UMR 8223 - Institut de recherche en musicologie), sous l’égide de l'ensemble des sociétés européennes d’analyse musicale.
Ce congrès ambitionne de constituer un événement scientifique de première importance dans le champ de l’analyse musicale et les champs qui lui sont associés. Il réunira des chercheurs du monde entier autour de personnalités éminentes et de conférenciers pléniers prestigieux : Robert Cogan (New England Conservatory of Music, Boston), Jean-Pierre Bartoli (Sorbonne, Paris) et Marie-Noëlle Masson (SFAM).
Colloque organisé en hommage à F.-B. Mâche pour son 80e anniversaire par Marta GRABOCZ (membre du GREAM) et Geneviève MATHON, avec le soutien du GREAM, du Laboratoire Littératures, Savoirs et Arts de l'Université Paris-Est Marne-La-Vallée et de l'Institut Universitaire de France. Le colloque est accompagné d'un concert donné par l'Ensemble Accroche Note vendredi 9 octobre 2015.
François-Bernard Mâche est l’un des créateurs les plus originaux et les plus innovants de la musique française contemporaine.
Il est un compositeur qui est aussi un musicologue, un zoo-musicologue qui est aussi un esthéticien. Il est un linguiste qui s’intéresse aussi au fonctionnement du système nerveux et du cerveau ; un mythologue qui est aussi un chercheur dans l’analyse des sons et des sonagrammes. De ses activités multiples résulte une œuvre qui regroupe à la fois celles d’un compositeur, d’un scientifique et d’un philosophe de la musique. Une œuvre qui contient environ cent dix opus musicaux, six ouvrages, quelque cent soixante-dix articles et plusieurs recueils de textes sur la musique dont il est l’éditeur délégué.
Il est l’inventeur des notions de « zoo-musicologie » et de « phonographie » dans les années 1970-1980 ; il est le premier à avoir réalisé en France une œuvre « spectrale » en transcrivant à l’orchestre les sonorités (d’après une analyse par sonagramme) d’un poème lu de P. Eluard (Le son d’une voix, 1964).
Il est le père du courant appelé « naturalisme sonore » qui a plusieurs représentants, y compris dans la plus jeune génération des compositeurs de différents pays.
Dès les années 1980, il esquisse le nouveau rôle du compositeur et les fonctions de la musique propres à notre « civilisation planétaire » de la fin du XXe siècle et du début du XXIe. En écoutant, analysant et exploitant dans ses œuvres les lois sonores de la nature (aussi bien celles des éléments que celles des manifestations sonores de certaines espèces animales), il réhabilite la dimension du sacré.
Il a introduit la notion d’archétype sonore au cœur de la réflexion et de la création musicales. L’idée consiste dans la mise en évidence de certains archétypes sonores (génotypes et phénotypes) que la musique a le pouvoir de révéler. Ainsi est postulée l’identité fondamentale de certaines structures formelles, aussi bien dans la nature que chez les animaux et les hommes. Mâche questionne donc la notion d’universaux en musique, en rapport avec la zoo-musicologie et la bio-musicologie. La prise en compte de traits communs entre les civilisations éloignées et les langues est un autre aspect de cette quête autant musicale qu’anthropologique.
Dès 1983, il aborde la question des neurosciences en rapport à la musique, à savoir « la mise en évidence de fortes analogies entre des musiques animales et humaines qui conduit à s’interroger sur l’origine biologique de ces analogies ». « …On devrait abandonner l’idée que la dimension historique est la seule clef d’interprétation des phénomènes humains, et que la pensée mythique représente une étape dépassée. Les fortes analogies qui m’ont permis de rassembler dans une même séquence des enregistrements allant du Niger à Taïwan ne peuvent s’expliquer par d’improbables contacts historiques oubliés (…). L’explication la plus simple, donc la plus scientifique, est qu’une même structure mentale archétypale s’est traduite ici et là, indépendamment, en des génotypes semblables, qui ont engendré au niveau phénotypique des compositions musicales très proches. »
Ses hypothèses des années 1980 pourraient être pleinement confirmées aujourd’hui par l’évolution des neurosciences en rapport avec les invariants.
Sa musique accompagne sa réflexion scientifique de manière personnelle et libre : il utilise les modèles sonores en suivant, entre autres, l’évolution de la technologie.
L’idée d’une musique mixte nouvelle (post-varésienne) naît dès 1960 (Volumes), complétée par celle de la spatialisation du son (douze pistes enregistrées). Dans les années 1960-1970 apparaissent les modèles (tels que les langues, leurs analyses phonétiques, etc.) et leurs transcriptions dans La peau du silence, puis Le son d’une voix. Cette dernière pièce de 1964 offre la création de la première œuvre « spectrale » avant la lettre (transcription à l’orchestre d’un poème lu et analysé par spectrogramme). Rituel d’oubli (1968) et Korwar (1972) inaugurent l’utilisation d’enregistrements de langues remarquables (le guayaki, le selk’nam, le xhosa) dans des œuvres mixtes, ainsi que l’intégration - sans manipulation - de sons bruts naturels reconnaissables. Danaé (1970) et Kassandra (1977) sont les premières d’une longue série de pièces et de titres se référant à la mythologie. Le théâtre musical prend sa place à partir de Da Capo (1976) jusqu’à Temboctou (1982, 1995). Le modèle visuel et une sorte de synthèse des modèles sonores s’imposent dans Octuor (op. 35, 1977), puis dans Eridan (op. 57, 1986). Les langues en voie de disparition puis les langues mortes ou celles de civilisations lointaines seront « ressuscitées » à l’aide d’échantillonneurs dans Uncas (1986), suivi de Trois chants sacrés (1982-1990), dans Kengir (cinq chants sumériens, 1991), Manuel de Résurrection (égyptien ancien, 1998), etc. Les rituels et cérémonies servent de modèle dans Rituel pour les mangeurs d’ombre (1979), Khnoum (1990), Les 12 lunes du Serpent (2001), Melanga (2001), etc. Les échantillonneurs apparaissent comme les compagnons indispensables de la voix solo ou des instruments, et le potentiel grandissant de l’enrichissement des sources sonores enregistrées se retrouve – entre autres - dans un concerto pour échantillonneur et orchestre en 1993 (L’Estuaire du temps), dans une pièce vocale et instrumentale (Aliunde, 1988), puis dans Vectigal libens (2000), Melanga (2001), etc. Dans les années 2000, l’ordinateur avec sons enregistrés remplace les bandes magnétiques à côté des instruments solos ou de l’ensemble instrumental dans Canopée (2003), Chikop (2004), Manuel de conversation (2007), Artémis (2008), etc.
Pierre Boulez relevait dans un entretien en 1989 la différence entre le monde sonore de son Marteau sans maître et Zeitmasse de Stockhausen, écrit au même moment, tout en ajoutant qu’il n’y avait là pas automatiquement une tradition « nationale » : l’orchestre de Strauss lui paraissait beaucoup plus « séduisant » que celui de Ravel… Peut-on parler encore de nos jours de telles traditions sonores, avec les jugements de goût qui leur sont liés ? Est-ce que c’est là un cliché à déconstruire ? Quelque chose qui aurait fait retour (dans la musique spectrale, la « musique concrète instrumentale ») ? S’agit-il, avec un tel son global, de davantage que de techniques d’orchestration, et quelle est la valeur accordée à un tel enseignement en France et en Allemagne ? Les interprètes passent-ils aisément d’une culture sonore à l’autre ou peut-on parler de nos jours encore d’interprétations « authentiques » lorsqu’il s’agit de la musique des XXe et XXIe siècles ?
Conférence organisée par Nathalie HEROLD (membre du GREAM) dans le cadre du séminaire du CNSC (Campus Numérique des Systèmes Complexes).
La réflexion des musicologues sur la forme musicale est restée souvent dans le cadre d’une description « mécaniste » ou bien sous l’influence de la Gestalttheorie (selon André Souris). Dès les années 1970, ceux qui ont vraiment essayé de sortir du cadre figé, traditionnel et « mécaniste » des conceptions formelles, étaient les compositeurs eux-mêmes. Xenakis et Ligeti ont donné les premières impulsions, tandis que les membres de la génération suivante étudiaient les ouvrages scientifiques (géométrie fractale, théorie des catastrophes, théorie du chaos, systèmes de Lindenmayer, astro-physique, structures sémio-narratives, modèles mathématiques, etc.).
Lors de ces journées, on tentera de faire dialoguer les compositeurs, les scientifiques et les musicologues dans le but d’en apprendre plus sur la démarche des créateurs et de voir la manière dont ils ont été influencés par l’étude des ouvrages scientifiques. Est-ce que la lecture des livres de René Thom, Jean Petitot, Henri Atlan et d’autres scientifiques offrait seulement des métaphores à la composition, ou bien l’approfondissement des connaissances a-t-il permis aux compositeurs d’élaborer un système formel/structurel dérivé des modèles scientifiques eux-mêmes ?
Colloque organisé par Marta GRABOCZ (membre du GREAM) et Philippe MANOURY, avec le soutien du GREAM.
Philippe Manoury :
« L'apport des technologies en temps réel au sein de la création musicale contemporaine constitue certainement l'événement le plus important depuis l’avènement des musique électroniques dans les années 50. D'abord analogiques, les musiques se sont informatisées et les ordinateurs se sont révélés bien plus que de simples nouveaux instruments : des outils conceptuels. Grâce à la vitesse de leurs calculs, ils sont désormais en prise directe avec le temps musical produit par les musiciens au moment du concert. Cela implique de nouveaux paradigmes qui bouleversent et redéfinissent les procédés de composition et de création musicale.
A quoi ressemblent ces nouveaux outils de création ? Sur quoi portent les recherches actuelles et vers quels buts tendent-elle ? Peut-on sérieusement envisager une écriture musicale pour la musique électronique ? Comment transmettre et assurer une pérennité à un répertoire dans un monde technologique sans cesse en renouvellement ? Quels sont les véritables enjeux esthétiques de cet alliage entre musique et technologies ?
A ces questions, ce colloque - le premier du genre - qui regroupera des acteurs majeurs de la recherche et de la création musicale, tentera d’apporter des réponses. Il cherchera, du moins, à les poser avec pertinence. »